Le coureur de juponNon, mais ce n’est pas vrai ! Il va encore rentrer à quelle heure ? Il me dit qu’il va faire un petit tour en forêt, comme ça, histoire de se détendre avant le dîner, dix ans après, vingt-deux heures sonnent et il n’est toujours pas de retour ! Je peux vous dire qu’il va m’entendre !
La dernière fois, il y a environ quatre-vingts ans, il m’a fait le même coup ! Pour se justifier, il m’a raconté une histoire extravagante où des petits cochons avaient des maisons en paille, en bois, en pierre et qu’ils risquaient de se faire dévorer par un ogre ! Ou bien quelque chose dans ce genre là. "Môssieur" m’a expliqué qu’il avait voulu les sauver. Il était donc, bonne âme, parti se battre contre… heu... ah oui, cela me revient... contre un loup et qu’il lui avait fallu une bonne vingtaine d’années pour chasser le vilain. Et moi, pendant ce temps, que croyez-vous que je faisais ! Je l’attendais en tricotant et défaisant un ouvrage. Non, non, ne pensez pas que je sois dingote, si je détricotais, c’était pour que l’on ne me marie pas avant son retour. J’avais posé une condition à ce mariage forcé avec l’affreux barbe bleue. Cela ne serait possible que lorsque mon poncho réversible fait au point de jacquard péruvien serait terminé.
C’est un fameux travail le point jacquard péruvien donc je m’imaginais que cela me laissait du temps, mais pensez donc ! Le subterfuge a fini par être découvert et lui qui ne se pressait pas ! Enfin, il est tout de même revenu à temps et notre union a pu être célébrée comme prévu avant son départ inopiné.
Aujourd’hui, je ne sais pas bien ce qu’il va pouvoir me raconter pour se justifier ! Mais attendez, voilà que l’on sonne.
Qu’est-ce que tout cela ! Blanche Neige… ? Blanche Neige et ses sept nains… Incroyable ! Que me dites-vous, le prince est chez vous ? Mais que fait-il là-bas ? Il s’est perdu dans une forêt inextricable et en arrivant chez vous par hasard, il a voulu réparer votre rouet brisé ! Quel nigaud ! Il ne sait rien faire de ses dix doigts. Je le soupçonne d’avoir voulu faire le joli cœur auprès de vous ! Cela ne me dit pas pourquoi il n’est pas ici à votre place ? Comment cela il dort ! Il s’est piqué avec le fuseau et il s’est effondré endormi ! Je ne le crois pas ! Et vous Blanche Neige, qu’avez-vous fait ? Vous l’avez embrassé, embrassé encore et encore et cela n’y a rien fait. Dites-moi, vous ne manquez pas de culot de me rapporter cela bien en face ! Vous ne savez pas qu’il n’y a que mes baisers qui peuvent le sortir d’un mauvais pas ! J’espère qu’en plus, gourmand comme il est, il n’a pas mangé la pomme rouge de la sorcière ! ... Si ! Nous voici dans de beaux draps ! Bon il n’y a plus une minute à perdre. Prenons mon carrosse et retournons chez vous.
Allez messieurs les nains, montez à l’avant et à l’arrière du coche et menez-nous vers la demeure de votre maîtresse.
Il me semble que ce n’est pas la porte à coté votre demeure. Ah enfin, nous y voici ! Où est-il ce rêveur que je le réveille de mes doux baisers ! Bien ! Te voilà sorti de ton sommeil, mais tu devras attendre encore un peu pour rentrer avec moi. Je dois accompagner les petits amis de Blanche Neige afin de leur indiquer les herbes nécessaires à la guérison de la paralysie provoquée par ta gourmandise.
Maintenant que je suis en forêt, je vais lui rendre la monnaie de sa pièce à ce galopeur des forêts. Messieurs les nains, voici la potion que j’ai préparée avec les plantes que vous m’avez apportées. Vous remettrez ce billet au Prince en main propre puis vous lui ferez boire le breuvage. Mais surtout, c'est très important, le pli en premier et la petite fiole ensuite.
Voici le contenu du message :
Mon très cher beau Prince,
Lorsque tu liras cette missive, il ne te restera que peu de temps si tu veux me revoir. Tu dois être de retour au château avant la nuit. Débrouille-toi comme tu veux, emprunte des bottes de sept lieux au Chat Botté s’il le faut ! Si par le plus grand des hasards, tu n’arrives pas avant le crépuscule, tu ne trouveras qu’une chaussure de vair et une citrouille devant la porte de notre demeure. Il te faudra faire essayer ce soulier à toutes les femmes du royaume pour me retrouver. Ce sortilège se reproduira à chacune de tes incartades.
Mon tendre amour l’attente va beaucoup me peser, il me serait, tu le comprendras aisément, fort désagréable de passer de La Belle au bois dormant à Cendrillon.
Ton aimée
Voilà qui devrait calmer les ardeurs de ce coureur de jupon !
Le 19.08.2006 -
grosby30@yahoo.fr