Les 15 mots échangés
Perpétuel, jaune, petit pot de beurre, cadenas, valet, fantastique, bombarder, tandem, lumière, hiver, fatidique, mouillé, contribuer, élaboré, route.Les Dernières Heures de la Terre
Je marche sur cette
route depuis des heures, c'est une route longue, interminablement longue. Heureusement peu de voitures circulent, je suis quasiment seul sur ce bitume. Mes pensées vagabondes comme moi, je ne vois même plus le paysage, je suis envahi par mes images et mes délires. Et si j'étais suivi par un fou. J'imagine un stratagème pour échapper à ce maniaque, qui veut s'en prendre à moi, il n'aime pas les marcheurs dans mon genre, il les poursuit en voiture, il s'arrête à leur hauteur et leur saute dessus pour les étrangler. Du coup quand je crois entendre le ronronnement d'une automobile je suis pris de panique et si c'était l'homme qui tue les promeneurs.
Je n'aurais pas dû penser à ça car j'entends une voiture qui vient… Que faire, et si c'était le tueur de routards, je me retourne, le véhicule n'est pas encore à portée de vue, je dois agir vite j'
élabore en quelques secondes une stratégie qui peut me sauver la vie :… Je saute dans le fossé, j'aplatis mon corps contre les herbes, je fais le mort. Quelques secondes plus tard le vrombissement d'un moteur arrive à ma auteur, je ne perçois aucun ralentissement, aucune hésitation chez le conducteur. La voiture file plus vite que l'éclaire, j'attends encore jusqu'à ce que je ne l'entende plus et je sors de ma cachette.
J'époussette les herbes accrochées, je replace mes cheveux du mieux que je peux. Mon pantalon garde les stigmates verts des herbes écrasées, je reprends ma route en souriant, j'ai encore le cœur tout excité par mon aventure.
La
lumière est déjà plus pâle, c'est l'heure que je préfère, j'aime accompagner le soleil dans sa chute
fantastique. Je m'arrête et je regarde la fin d'un cycle, je ne garde en mémoire que l'instant présent, c'est l'heure, où toutes les couleurs sont douce,
jaune-orangée, le soleil s'apprête à quitter les lieux, il s'étire une dernière fois, il agrippe ses rayons sur les cimes et les collines, il hésite à quitter les lieux sans pour autant stopper sa descente
perpétuelle vers le lendemain, et jusqu'à ce qu'il soit complètement absorbé par la terre le soleil déclare sa flamme au jour qui s'achève.
Alors c'est la nuit qui s'avance. Je reprends ma route, d'un pas plus rapide, je tente d'aller plus vite que les étoiles qui renaissent chaque soir. La nuit d'
hiver est moins accueillante que la nuit d'été, elle chante moins, elle est plus froide et impénétrable, les nuits d'hivers sont en hibernation, lovées dans leur silence, économisant la chaleur du jour au creux de leur ventre.
J'avance toujours plus rapide, je sors mon bonnet de la poche de mon parka et l'enfile sans arrêté ma course vers le halo des villes.
Le rythme de la marche et la faim me submerge sans que j'y fasse attention. Me revoilà parti dans un rêve, je marche comme un somnambule vers sa trajectoire mystérieuse. Je ne mesure pas plus d'un mètre vingt. L'atmosphère sèche et tiède de la maison de ma grand mère me revient aussi réelle que l'humidité qui s'abat sur mes épaules et que je ne ressens pas à cet instant. Je veux savoir ce qui se cache dans le petit buffet fermé solidement par le
cadenas doré. Pourquoi tant de précaution ? Il n'y a que les choses interdites qui sont enfermées, ou les objets précieux, ou une surprise pour mon anniversaire ? Grand-mère a-t-elle peur que je découvre son secret ? Je ressens dans la nuit l'approche de mes 8 ans, je revis cette émotion comme si j'y étais à nouveau. La curiosité me fit délirer pendant plusieurs jours jusqu'au jour de mon anniversaire. Ce matin là, Mémé me réveilla comme d'habitude pour prendre mon petit déjeuner, j'étais sûre que le cadenas ne condamnerait plus l'ouverture du petit buffet. Il n'y avait plus de raison de cacher encore mon cadeau, ce matin j'ai 8 ans, m'étais-je dis. D'un bond je courrais derrière ma grand-mère qui se dirigeait vers la cuisine. Elle avait comme tous les matins préparé mon petit déjeuner. Un bol de chocolat au lait, le
petit pot de beurre, et deux tartines de pain frais déjà beurrées . Une terrible déception m'agrippa les entrailles. Le buffet et son cadenas me toisaient dédaigneusement du haut de leur solide
tandem. Ll'un et l'autre encore unis malgré ce jour qui aurait dû les séparer, ouvrant ainsi la porte sur mon cadeau. Je mangeais ma tartine en déchirant le pain à pleines dents, tournant le dos à ma déception, ignorant l'incontournable vérité
Le froid rattrape mes souvenirs, ou est-ce cet énorme poids lourd en passant à côté de moi qui me fais sortir de mes 8 ans et
bombarde mes flash-back les réduisant en mille morceaux. Je suis en colère contre ce camion puant le kérosène brûlé. Il a renvoyé ma grand-mère à son effroyable destin de défunte, et moi je suis avec mes 1m80 tout frigorifié et mort de faim sur le bitume de la nuit. Je lève le poing aux étoiles glacées et je crie toute gorge déployée :
- Mon cadeau était dans le petit buffet, mes patins à roulettes, le trésor de mes 8 ans, l'amour de ma grand-mère …
Ma colère retombe aussitôt, comme un ballon crevé. Le camion est loin et moi j'approche de l'heure
fatidique, je rentre dans la ville, j'entame mon premier trottoir, mon premier pâté de maison depuis une trentaine de kilomètres. J'ai beaucoup marché aujourd'hui, je suis impatient d'en avoir bientôt terminé, et en même temps j'appréhende de rentrer. Je suis à quatre cents mètres de chez moi. L'église sonne pour moi l'heure de mon retour, il est 20 h 00. Personne n'accueille mes pas sur le parquet de l'entrée, j'allume le couloir. Je ne suis ni heureux ni triste, un peu repus et pourtant j'ai le ventre qui crie famine. Je peux attendre encore quelque minute avant de manger. J'entre dans ma chambre et me débarrasse de mes vêtements, que je pose sur le fauteuil, négligeant le
valet de nuit aussi solitaire que moi. Nu je frissonne en réglant la température de la douche, en apercevant mon image furtivement dans le miroir de la salle de bain je réalise que j'ai oublié d'ôter mon bonnet. Je dépose un sourire à mon encontre et me hâte à la toilette.
Les cheveux encore
mouillés je m'apprête à festoyer devant la télé, de pain, d'un crottin de chèvre que j'ai acheté cette après midi dans une ferme des environs, de saucisson. Je regarde une émission débile et outrageusement vile. Sans effort je m'abrutis l'esprit de scènes grotesques Ils appellent ça un réality show, un spectacle réalité. Il ne s'agit en faite que de luttes de pouvoir, de sexe et d'argent. Le reflet de notre société, de notre ennui, de notre chute.
Ma lassitude est celle de ma défaite, je me sens uni profondément à notre imminent déclin. Je ne suis plus seul je suis le monde qui se meurt, la seule chose que je puisse faire est de continuer à
contribuer, par mon inertie, à la fin du monde.
Je finis par aller me coucher, mon corps me réclame le repos. Je mets le réveil à 5 heures, demain je repartirai sur la route, j'agrandirai mon circuit, il faut que je profite encore des dernières heures de la terre. Avant de sombrer dans la nuit de mes rêves je chuchote distinctement "petit pot de beurre" "petit pot de beurre" et je meurs de sommeil.
Chaperonnoir.
PS: pour les autres 15 mots j'attends que vous vous mettiez un peu à écrire ben quoi c'est vrai çà!
amicalement....